Une botte. Deux bottes. Ca y est, Lucina était fin prête. Ennuyée, elle avait décidé d'aller faire le tour de la ville et vérifier qu'Ylisstol se portait bien. Après tout, n'était-ce pas le devoir de toute princesse qui se respecte ?  Il était vrai qu'elle avait trainé dans son lit par rapport à d'habitude, mais actuellement, elle était bien réveillée et parée pour cette journée qui promettait d'être bien remplie. Elle était certaine qu'elle reviendrait sans avoir rencontré aucune difficulté, mais au moins, elle se serait rendue utile.  Au fond d'elle, Lucina espérait croiser un obstacle... Elle voulait le bien du royaume, c'est certain, mais elle ne voulait pas non plus s'ennuyer dans les rues d'Ylisstol qu'elle commençait à connaître par coeur.

La princesse, cependant, voulait le bien pour son royaume et il ne faisait aucun doute que si elle était destinée à rencontrer un problème aujourd'hui, elle se ferait un plaisir d'apaiser les tensions entre les opposants. Beaucoup de personnes voyaient Lucina comme une brute... Ce n'était pas vraiment la vérité. La jeune femme essayait toujours de régler les conflits par la parole, mais naturellement, elle pensait comme la plupart des personnes que parfois, les propos n'étaient pas aussi forts que l'épée.

Elle sortit du château après avoir salué toute sa famille. Vêtue de son accoutrement habituel, équipée de Xéno-Falchion, elle se dirigea vers le quartier des habitations. Eh oui, la chevelure bleu marine avait déjà tracé un itinéraire dans sa tête : après être passée dans ce coin de la ville, elle cheminerait vers les ruelles, et finirait par la place du marché avant de rentrer au château. Cela ne dérangeait pas Lucina, de patrouiller. De plus, objectivement, elle trouvait la capitale d'Ylisse fort jolie. Elle adorait son architecture et tout simplement, son ambiance... On ne le répétera jamais assez, depuis que la paix régnait en maîtresse sur ces terres, Ylisstol était devenue un refuge harmonieux.

La ronde de Lucina fut seulement calme lorsqu'elle traversa le quartier des habitations et les ruelles. Au moment où effectuait sa petite surveillance dans la dernière artère de la ville, elle entendit des cris. Instinctivement, sa main se posa sur la garde de Xéno-Falchion et elle aurait été prête à agir dans une microseconde. Elle se relaxa légèrement quand elle comprit que le danger n'était pas imminent, pesant sur elle, mais au contraire, plus loin. Soudain, elle comprit. La place du marché... C'était là-bas que la menace l'attendait. Sans attendre, elle courut à toute vitesse en direction de celle-ci, et découvrit enfin le spectacle. Malheureusement, elle était en retard...

La Veilleuse n'en crut pas ses yeux. Une émeute. Il ne manquait plus que ça. Toute la place était concentrée sur un seul point, que Lucina ne put pas distinguer ni comprendre, étant donné du nombre de la foule qui grandissait de plus en plus. Mais que se passait-il, bon sang ?! Elle en avait assez d'attendre. Aucun autre moyen que de foncer et s'imposer. Elle espérait se faire remarquer, et elle espérait surtout que les gens ne nieraient pas son autorité. Ainsi, elle fit ce à quoi elle venait de songer. Elle s'engouffra dans l'assemblée et arriva au milieu de cette dernière. Mais.. Il n'y avait rien. Elle se rendit aussitôt compte qu'il était trop tard. Ceci dit, il fallait qu'elle agisse. Plan B. Elle s'approcha d'un des citoyens de l'amas de personnes et lui adressa la parole. Il lui répondit bien sagement, après avoir réalisé qu'elle était la princesse d'Ylisse.

« Excusez-moi, pouvez-vous me raconter ce qu'il s'est passé ? »

« Oh, bonjour Princesse. C'est un plégien... Y'a eu une baston avec un ou deux autres types, je crois. Il est parti vers là-bas ! »

« Merci. »

Après avoir joint un mouvement de tête respectueux au citoyen, elle prit la direction qu'il venait de lui indiquer. Tout s'était passé très vite. Elle se retourna, ordonna à la foule de se disperser, promettant qu'on s'occuperait du "problème". Heureusement, son ordre fut exécuté et la place du marché redevint déjà un peu plus calme. Elle put se reconcentrer sur la tâche qu'elle s'était désormais attribuée : retrouver l'individu et essayer de comprendre la situation. Elle ne tarda pas à croiser une personne semblant légèrement blessée au visage, et ne put s'empêcher de l'interpeller.

« Excusez-moi, êtes-vous la cause du récent rassemblement sur la place du marché ? »

Lucina était à l'affût. Si jamais il devenait agressif, elle était prête à réagir...
     

     
    L'individu s'était retourné et désormais, elle pouvait distinguer son visage. C'était un brun, tout ce qu'il y a de plus banal. En même temps, me direz-vous, tout parait bien anodin quand on a les cheveux bleus de naissance. Enfin, c'était un brun aux yeux sombres. Ses cheveux étaient quelque peu ébouriffés, et il était sans aucun doute très pressé. Pour autant, il n'avait pas l'air vraiment coupable. En effet, son regard se rapprochait plus de celui d'une victime que de celui d'un criminel. Globalement, c'était une belle personne.

« C’est eux qui vous l’ont dit ?! Que c’est la faute du… »  

A partir de ce moment-là, le fuyard devint terrifié et son visage tourna au blanc pâle... Sa face était blême. Qu'avait fait Lucina pour le mettre dans cet état, tout d'un coup ? Etait-elle aussi laide que ça ? Le soi-disant plégien fit un pas en arrière avant de se vautrer sur son derrière. La jeune princesse ne sut pas quoi dire : elle était ébahie devant tant de stupeur. Que pouvait-il bien se passer dans la tête de ce jeune homme ? Et pourquoi avait-il le comportement du coupable alors qu'il était évident, rien qu'à regarder dans ses yeux, qu'il n'avait fait que se défendre ? Lucina n'en restait pas moins méfiante. Certes, elle commençait à avoir de la sympathie pour ce type, mais elle ne le connaissait pas et elle se devait de rester vigilante jusqu'au bout. Après une attente interminable, elle décida d'avancer vers le brun. Ce fut l'erreur fatale.

Il réagit au quart de tour. Il recula tout d'abord à quatre pattes en arrière, puis finit par se relever. Difficilement, mais il y arriva. Mais alors que Lucina allait prendre la parole pour enfin connaître la vérité sur toute cette histoire, il s'enfuit. Il ne fallut pas longtemps à la princesse pour à son tour, passer à l'action. Innocent ou pas, elle devait avoir le coeur net sur ce qui s'était réellement passé et sur l'identité de cet homme. C'est ainsi qu'elle se mit à le poursuivre. Elle se mit à courir de toutes ses forces mais il lui donnait du fil à retordre. C'était une véritable chasse à l'homme qui paraissait interminable. Enfin, interminable jusqu'au moment où la jeune fille se souvint d'un passage « secret » entre les ruelles.

Futée, son plan fut établi en quelques secondes. Tout se passait très vite, encore une fois. Il lui fallait penser, réfléchir, et cela dans un temps record. Ca y est. Ils se trouvaient dans la plus grande ruelle d'Ylisstol et au bout de celle-ci, il était obligatoire de tourner à droite, sous peine de se cogner sévèrement la tête contre un mur. Après ce virage, on se retrouvait dans une nouvelle petite allée de la capitale. Elle avait 99 pourcent de chance de réussir. En un rien de temps, elle se tenait dans la petite rue, et coupa la course du fuyard. Elle pensa au fait qu'il pouvait simplement faire demi-tour, mais cela ne servait à rien et il avait l'air bien trop effrayé pour pouvoir effectuer une telle action. Mais quelle était donc cette phobie, cette peur tellement grande qui l'empêchait même de prendre une décision si facile ?

Le visage du jeune homme dégoulinait de sueur. Il était vraiment paniqué. La crise d'angoisse le guettait, planait au-desus de lui. A moins qu'elle n'ait déjà pris le contrôle de son esprit. Le petit jeu était terminé, à présent. La princesse ne rigolait plus. De toute manière, avait-elle déjà rigolé depuis le début ? Cela était peu probable. C'était fini. Ici et maintenant. Il n'avait pas d'autre choix que de parler et répondre aux interrogations de Lucina. Sans attendre, elle brandit Xéno-Falchion devant elle, en direction du « plégien » et engagea la conversation.

« Ce petit jeu de course est fini ! Pourquoi fuyez-vous ainsi ? Je veux tout savoir. Déclinez votre identité ! Savez-vous seulement à qui vous avez affaire ? Je suis Lucina, princesse d'Ylisse, fille de Chrom et Robin, ainsi que nièce de la Reine Lissa ! »

Elle n'en dit pas plus. Elle comptait bien faire parler cet homme, coûte que coûte. Elle espérait qu'il se rende compte à qui il faisait face et qu'il ait l'intelligence de coopérer. Si il dégainait son arme, Lucina se battrait. Et s'il fuyait, elle le pourchasserait. Donc oui, il avait tout intérêt à répondre sagement. Le visage de la Veilleuse s'était durci et elle fixait inlassablement le brun. Il n'avait plus qu'à ouvrir la bouche.
     

     
    Encore une fois, il était tombé. Encore une fois, la question du pourquoi, et du comment tambourina l'esprit de la princesse. Pourquoi avait-il si peur d'elle ? S'étaient-ils déjà rencontrés par le passé ? Avait-elle pris la vie d'un de ces proches, ou que sais-je encore ? Aujourd'hui, elle savait que tout était possible et qu'une infinité d'explications étaient plausibles. Cette fois, la chute du jeune homme fut plus rude, et elle eut peur qu'il perde connaissance tellement le choc lui parut puissant. Elle avait pu entendre le bruit de l'arrière de son crâne contre le sol. Enfin, il ne semblait pas saigner et était toujours conscient.

La prise de parole de Lucina ne sembla pas changer grand-chose. Le teint du visage de l'inconnu était toujours aussi blafard, et pour le coup, on aurait dit qu'il était ailleurs. Oui, c'est cela, ailleurs. Son corps était bien ici, par terre, face à la jeune fille, mais son esprit n'était pas là. Peut-être même qu'il ne l'avait pas entendue. Elle hésita à répéter, puis abandonna cette idée. Elle se convainquit qu'il n'avait qu'à écouter, et que le fait qu'il ait assimilé la présentation de la Veilleuse n'était pas son problème. Elle l'avait dit une fois. Et quand la princesse d'Ylisse parle, que dis-je, lorsqu'une princesse tout court parle, on se doit de lui prêter attention. Ainsi, pendant quelques secondes, elle faillit prendre cette non-réaction pour un manque de respect et une tentative de provocation. Cette pensée la mit encore plus en colère mais elle se radoucit en regardant dans les yeux du « plégien ». Oh, non ! Il avait l'air terrorrisé... Pourquoi son véritable état ne correspondait absolument pas à ses actions ? Qu'est-ce qui clochait ? Quelque chose échappa à Lucina et elle s'en voulut.

Enfin, l'ancien fuyard se mit à bouger. Après avoir vu ses lèvres faiblement bouger sans pour autant qu'il prononce des mots, il commença à toucher son manteau à plusieurs endroits : l'attitude de quelqu'un qui cherche quelque chose. Après plusieurs secondes de recherche qui parurent interminables, il sortit enfin l'objet tant convoité : un carnet. Il se munit également d'un petit stylo tout ce qu'il y a de plus banal et ouvrant très légèrement un oeil, se mit à écrire. Lucina n'en crut pas ses yeux. Mais que faisait-il, bon sang ? Il avait devant lui une personne qui le pointait de son épée et... Il écrivait ? Elle ne le perdit pas des yeux, malgré son étonnement. Elle était méfiante et toujours prête à passer à l'action. Peut-être s'agissait-il d'un nouveau type de magie, qui sait ?

Cependant, cette théorie tomba rapidement à l'eau. Elle s'effaça aussi vite qu'elle était apparue dans le cerveau de la Veilleuse lorsque l'homme à terre lança le carnet juste à ses pieds. Mais à quoi jouait-il ? Lucina ne put s'empêcher de penser à la probabilité que ceci soit un piège. Un ouvrage maudit ! Oui, c'est ça, le genre de carnet qui vous rend complètement fou quand vous le touchez. Quelque chose come ça.. La tension était à son comble et la princesse se surprit à transpirer, alors qu'elle avait été plus ou moins calme jusqu'ici. Et si le cahier explosait une fois sa main posée dessus ?! La jeune fille afficha une mine agacée. C'était un agenda, rien qu'un petit agenda et elle paniquait de cette façon... C'était décidé. Légèrement hésitante, elle s'empara du carnet en cinq petites secondes. Pas d'explosion pour l'instant. Doucement, elle se releva, et l'ouvrit, son coeur battant à cent à l'heure. Encore... Rien. Rien sauf...

« Yst Ragalir Decendia, forgeron. À votre service, madame. Je suis un ylissien ayant emménagé en Astria pour raison familiale. Je suis revenu en Ylisse afin de répondre à une commande. Veuillez excuser mon… Comportement. Mais j’ai des difficultés avec les femmes, problème personnel. »

Elle mit du temps à comprendre de quoi il s'agissait avant de réaliser que ces écrits constituaient en fait la réponse de l'ylissien. Elle releva sa tête et lança un regard interrogateur au jeune homme. Pourquoi ne lui parlait-il pas ? Elle se doutait que c'était à cause de ce « problème personnel avec les femmes » mais quel problème pouvait empêcher un homme de prendre la parole ainsi ? Enfin. Cet homme était apparemment plus ylissien que plégien, selon ses dires. Yst Ragalir Decendia... C'était donc ça, son nom. Etant donné la politesse avec laquelle il avait écrit, Lucina comprit qu'il avait entendu ses paroles d'avant, mais n'avait pas pu réagir, tout simplement. Son visage se détendit. Il lui répondait enfin... Elle sourit faiblement, baissa son épée sans la ranger dans son fourreau, et fit voler le petit carnet en direction de Yst.

« Echantée. J'imagine que c'est le seul moyen que vous avez pour me répondre, alors je vous le rends. Si vous êtes ylissien, pourquoi toute la foule vous a pris pour un plégien ? J'aimerais avoir le coeur net sur cette histoire... Seriez-vous ylissien ET plégien, par hasard ? Ce n'est pas une honte, vous savez... »

Elle hésita avant de continuer. Etait-il vraiment nécessaire qu'elle dévoile ses origines à cet homme ? Elle voulut terminer sa phrase ici, mais elle se décida finalement à continuer. Après tout, son devoir était de connaître la vérité sur ce qu'il s'était passé. Et elle était prête à presque n'importe quoi pour résoudre cette affaire. Lucina avait l'habitude de prendre des risques, après tout...

« ... Je suis moi-même née d'un père ylissien et d'une mère plégienne. »

Elle baissa les yeux en direction des pavés de la ruelle. Il était certain que s'il existait quelqu'un dans ce monde capable de comprendre la difficulté d'une double-origine, c'était bien Lucina.
     

     
    Alors qu'elle avait la tête baissée, Lucina remarqua un bruit étrange. Elle releva la tête, comme un réflexe, et vit le jeune homme, toujours à terre, en train de pivoter sur lui-même pour faire dos à la jeune fille. Elle redevint méfiante : que faisait-il ? Instinctivement, elle reposa la main sur Xéno-Falchion, encore une fois prête à réagir en une microseconde s'il le fallait. Mais au lieu d'effectuer un autre geste suspect, Yst prit la parole d'une voix à peine audible, ponctuée par de nombreux bégaiements.

« J-Je-Je-Je suis ef-eff-effectivement p-pl-pl-plégien et-et-et y-yli-yli-ylissien… J-J-Je-Je sais que-que-que ce n’est p-p-p-pas une honte… M-M-M-Mais… Les-Les-Les gens s-sa-sav-savent qu-que v-v-v-vous êtes co-co-co-comme m-m-m-moi ? M-M-M-Mi-plé-plégienne et mi-mi-ylissienne ? »

Lucina eut de la peine pour cet homme qu'elle venait de rencontrer. Quelle plaie, de ne pas pouvoir s'exprimer librement envers une femme... Au moins, elle l'avait compris, et heureusement, car elle n'aurait pas eu le coeur de lui demander de répéter ses paroles. Comme mise légèrement à l'aise par l'effort que Yst venait de faire, la princesse reprit confiance en elle et lui lança un faible mais franc sourire.

« De nos jours, tout le monde connaît l'histoire du combat que mes parents et leurs compagnons ont mené contre le Dragon Déchu et donc, les véritables origines de ma mère, qui est plégienne. De ce fait, les gens sont au courant de ma double-origine, oui... »

Tout en parlant, Lucina élargissait son sourire. Elle se sentait sûrement rassurée de voir qu'elle n'était pas seule, que d'autres personnes étaient dans son cas. De plus, elle se ferait un plaisir de pouvoir « guider » Yst qui semblait perdu, apeuré et doucement détruit par cette double-origine. Cette dernière était visiblement un fardeau pour lui et Lucina trouvait cela injuste. Surtout qu'il venait de se faire traiter de plégien alors qu'apparemment, il était aussi ylissien. Hors de question pour la Veilleuse de laisser ces injustices lui passer au-dessus de la tête. Elle décida de se rapprocher à petits pas de sa nouvelle rencontre, et une fois arrivée juste devant lui, lui tendit sa main droite en souriant, illuminant son joli minois.

Le plan était simple... Elle espérait qu'il arrive à prendre sa main pour se relever (même tremblant) et elle l'emmènerait à la place du marché où elle interpellerait les citoyens présents sur le moment en demandant aux habitants qui avaient insulté Yst de lui présenter des excuses publiques. Oui, elle allait mettre ce plan à exécution. La seule chose qu'il devait faire était de se relever et de la suivre. Elle s'occuperait du reste.